Claude Poirier, l’homme derrière les nouvelles

La Belle au Bois Dormant

Été 1975, j’ai douze ans. Ma famille vit un drame épouvantable. Ma petite sœur, treize ans, vient de décéder, victime d’un horrible meurtre. C’est ma première rencontre avec Claude Poirier.

27 ans ont passé. Je ne l’ai jamais revu depuis. Le matin, j’écoute son émission où il fait une capsule d’information. Il a toujours été présent dans mes pensées.

Une journée d’automne, je le rencontre par hasard. Il sort d’un magasin. Ma première réaction spontanée est de l’interpeller: «M. Claude Poirier». Il répond simplement: «Oui». Je perds mon assurance, je ne sais plus quoi dire ou quoi faire. Il me demande gentiment ce que je voulais. Surprise totale, je m’entends dire que j’aimerais faire une entrevue avec lui! Moi qui ne suis pas journaliste, qui écrit seulement avec mon cœur et qui ne cherche jamais la “bébitte” noire chez les gens!

Je lui explique que je travaille au Journal de la Rue, un journal qui, par sa mission, vient en aide aux jeunes qui ont des problèmes divers et que j’ai une chronique peu conventionnelle. Ça ne sera pas une entrevue comme il peut avoir l’habitude de faire. Claude Poirier m’offre sa carte pour prendre un rendez-vous lorsque je serai prête. Déchirée entre la fierté et l’inquiétude, je rencontre mon rédacteur en chef et lui raconte ce qui m’arrive. Je ne sais pas pourquoi, mais Raymond Viger est toujours optimiste face à ma capacité d’offrir un papier d’une sensibilité et d’une franchise propres à mon style. Il trouve que c’est une bonne idée et une belle expérience pour moi de faire une entrevue. Ma première entrevue!  Avec son encouragement et la curiosité aidant, je garde les coordonnées de Claude Poirier.

La torture mentale commence. Presque trois mois s’écoulent avant que je n’ose appeler ce monsieur si populaire qui ne donne aucune entrevue. Difficile de l’oublier, il est partout; à la radio, à la télé, je vois sa “bette” presque tous les jour. Une journée, je l’appelle et lui demande un rendez-vous. En attendant son rappel, j’appelle ma maman  pour lui raconter mon histoire. Elle me demande pourquoi je veux le passer en entrevue. Je lui réponds qu’il a toujours l’air fâché contre Jean-René Dufort, qu’il a toujours l’air sérieux et enragé lorsqu’il fait les nouvelles. Je me suis fait remettre à ma place par ma mère. Elle me dit d’abord que c’est un homme profondément humain qui a un grand cœur et à la bonne place à part ça. Elle me raconte, qu’au moment où ma petite sœur a été retrouvée sans vie, elle était dans son auto. Fidèle à son habitude d’être le premier arrivé sur les lieux du crime, Claude Poirier est venu chercher ma mère, il l’a fait sortir gentiment et a pris grand soin d’elle, avec beaucoup de compassion. Ma mère était durement atteinte par la mort de sa toute petite jeune fille. Claude Poirier l’a prise dans ses bras pour lui annoncer la nouvelle. Il l’a gardé un long moment dans ses bras, essayant de la consoler et de calmer son cœur de mère déchiré avant de la remettre aux soins des ambulanciers.

Au début de l’entrevue, je voulais savoir s’il garde souvenir de ce qu’il voit, jour après jour, depuis presque 40 ans de métier. Il a dû en voir des choses horribles, des moment où le cœur veut te sortir de la poitrine, un métier qu’il exerce dans une ville où presque tous les jours il arrive des choses atroces, autant aux personnes âgées qu’aux enfants, aux gens sans histoire qui, du jour au lendemain, se retrouvent avec une  blessure irréparable au cœur. Je lui demande s’il se souvient de notre blessure à nous, celle de la disparition tragique de ma petite sœur. Eh bien, sans hésitation, ce monsieur Poirier me répond que oui. Il se souvient de ma mère, assise dans sa voiture lorsqu’ils ont trouvé ma petite sœur. Il a eu la gentillesse de ne pas me raconter certains détails. Avec humilité, il m’a seulement dit que cela avait été difficile pour tous les gens présents.

Cet instant de relation  me permet de vous certifier qu’il n’a pas un cœur de pierre. Il n’y a pas longtemps on lui a offert de faire carrière en politique. Il a refusé. Il ne veut pas dire des mots ou des discours qui ne sont pas de lui. Lorsqu’il commente une nouvelle, on lui propose un sujet mais tout ce qu’il dit au petit écran vient de ses tripes, il dit ce qu’il pense, que cela fasse l’affaire ou non des autres n’a aucune importance. Il croit en ce qu’il dit et personne ne peut lui faire dire autre chose que ce qu’il pense. Il ne lit pas les nouvelles, il les commente et cela demande une explication claire et précise.

Moi qui pensais qu’après avoir vu autant de meurtres, de misère, de souffrance et de violence, on pouvait s’y habituer. Pourtant non, cela continue de le toucher. Il réussit à départager les choses. Ce n’est pas une machine, il a des sentiments nobles. Quand il a l’air enragé, c’est qu’il est choqué de ce qu’il voit et entend, il se donne le droit de partager cette émotion avec son public. C’est un homme qui aime son métier, intègre, qui ne camoufle rien et qui n’est pas achetable.

Il a souvent une expression sarcastique quand il parle des jeunes; les jeunes-incompris-de-la-société. Ce n’est pas plus pardonnable qu’un jeune assassine ses parents que de voir des parents battre à mort leurs enfants. Ça le choque aussi de voir des jeunes briser les biens publics, faire du vandalisme, car il trouve qu’ils ne réfléchissent pas assez aux conséquences de leurs gestes.

J’ai été privilégié d’avoir cette entrevue avec cet homme et je le remercie.

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poesie-urbaine-jean-simon-brisebois-art-de-la-rue Poésie urbaine. Renaissance. Depuis 1997, Jean-Simon Brisebois s’est découvert une passion pour écriture. Il s’implique activement dans divers projets communautaires dans Hochelega-Maisonneuve.
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