Entrevue avec la criminologue Line Beauchesne : bémols à la légalisation des drogues

Entrevue réalisée par Charles Messier. Volume 15 no 6, août 2007                        

 Dossier ToxicomanieProstitution et Sexualité.

Question: Êtes-vous favorable à une légalisation de toutes les drogues?

Réponse: Oui. Il faut cependant faire attention, parce que chaque fois que je dis ça, on a l’impression que je veux légaliser le crack, alors que ce n’est pas le cas. Quand on a légalisé de nouveau l’alcool en 1933, on n’a pas légalisé l’alcool frelaté. Je ne veux pas légaliser toutes les drogues accessibles sur le marché noir! De toute façon, des drogues comme le crack, personne n’en voudrait une fois les autres drogues légalisées.

Q: Cependant, ne serait-il pas dangereux que, du jour au lendemain, toutes les drogues soient accessibles?

R: Je veux légaliser toutes les drogues, mais une à la fois, en commençant par le cannabis, parce qu’on a beaucoup à apprendre avant de légaliser les autres.

Q: En légalisant les drogues, existerait-il le danger qu’elles soient plus accessibles et que n’importe qui, n’importe quand, puisse s’en procurer?

R: Non, les drogues seraient moins accessibles, parce qu’actuellement, si tu veux en avoir, c’est très facile. Dans un milieu légal, il y a des lieux, des règles, des modes de distribution précis qui restreignent l’accessibilité. Aussi, dans un modèle de promotion de la santé, à un moment donné, la consommation plafonne, parce que les gens font de meilleurs choix grâce aux politiques de distribution et de prévention.

Q: Où le gouvernement prendrait-il l’argent pour promouvoir la santé?

R: Je voudrais que tous les profits rapportés par la vente de drogue soient réinvestis dans la santé, dans la prévention. La légalisation ne serait donc pas un moyen pour les gouvernements de faire de l’argent comme avec le jeu actuellement. L’argent investi en ce moment dans la répression des vendeurs et des consommateurs devrait également être transféré dans la promotion de la santé et la prévention des usages problématiques de drogues.

Q: Avez-vous un exemple d’une méthode de prévention dans un marché légal?

R: Ce que je voudrais, c’est un modèle de taxation comme pour l’alcool. Par exemple, une tisane de coca serait très peu taxée, les produits injectables pourraient uniquement être distribués en pharmacies et sous contrôle médical pour les personnes qui en ont besoin. Bref, la taxe ajoutée devrait être un signe de la concentration du produit et de son potentiel de risque, ce qui serait un modèle pédagogique pour la clientèle. Il faudrait aussi éviter que les taxes augmentent trop les prix et que se développe un marché noir, comme c’est arrivé pour le tabac.

Q: Pourquoi la consommation dans un marché légal serait-elle moins risquée en matière de santé publique que dans un marché illégal?

R: Sur le marché noir, les produits ne sont pas contrôlés, ce qui fait que la dose peut être différente d’une fois à une autre. C’est comme si on commandait une bière dans un bar sans savoir si elle est à 5 % d’alcool, à 25 %, à 50 % ou même si c’est de la bière… Donc, on ne peut pas contrôler la quantité qu’on peut consommer, ni la qualité du produit.

Q: Y a-t-il d’autres facteurs qui influenceraient une meilleure façon de consommer?

R: Effectivement, dans le marché noir, les consommateurs se réunissent dans un lieu et décident que l’activité principale ce soir-là, c’est la consommation. Également, les consommateurs sont dans des milieux plus à risque, parce qu’ils se tiennent proche des sources d’approvisionnement et n’apprennent pas à gérer la consommation, contrairement à ce qui se produit dans un marché légal où il existe une politique de promotion de la santé.

Q: Ne croyez-vous pas qu’il y aurait davantage de consommateurs prêts à s’endetter pour payer leur dose quotidienne?

R: Il y aurait moins de conséquences financières négatives pour les consommateurs, mais pas parce que la drogue serait moins chère. Dans le marché noir, quand on est dépendant et qu’on n’a pas d’argent, le vendeur ne passe pas chez le notaire pour réclamer son dû. C’est ton dealer qui t’avance l’argent. La première semaine, ça va être 100 $, la deuxième 200 $. Puis, si un jour tu ne peux pas payer, quelqu’un va venir te régler ton compte. Donc, on est plus à risque d’avoir des problèmes financiers quand on est sur le marché noir que sur le marché légal. En plus, on risque d’être en contact avec d’autres drogues qui coûtent plus cher et dont le potentiel de dangerosité peut être plus élevé.

Q: Y a-t-il des drogues dont on devient dépendant dès la première utilisation ? Si oui, dans un marché légal, un consommateur ne pourrait-il pas être encouragé à essayer des drogues dures desquelles il deviendrait tout de suite accro?

R: La dépendance spontanée, ça n’existe pas. Il y a des drogues plus pharmacodépendantes et il y a des modes de consommation qui le sont également davantage. Par exemple, si vous vous injectez de la caféine et que vous buvez une tasse de café, l’injection de caféine a une plus forte pharmacodépendance, c’est-à-dire que votre corps risque de redemander le produit, contrairement à la tasse de café.

Q: Même chose pour les drogues dures?

R: Il n’y a pas de drogues douces et de drogues dures. Il y a des usages durs et d’autres qui sont doux, comme l’injection par rapport à la tisane. La dépendance physique, c’est la partie spectaculaire, mais pas très importante de la dépendance. La cocaïne ne crée pas de dépendance physique, mais souvent des dépendances psychologiques. Par exemple, celui qui est dépendant au jeu n’a pas de dépendance physique, tout comme celui qui est dépendant de l’amour. Mais la dépendance n’en est pas moindre. En fait, le plus difficile à traiter est le deuil de la dépendance psychologique.

Q: Légaliser les drogues n’encouragerait-il pas les jeunes à consommer en plus bas âge?

R: Un marché noir sollicite beaucoup plus les jeunes qu’un marché légal. Dans un marché noir, il y a de petits vendeurs qui sont habitués à des revenus de la vente, puis qui sollicitent les jeunes pour maintenir ces revenus et trouver de nouveaux clients. Dans un marché légal, il y a des limitations d’âge qui peuvent être faites.

Q: Pouvez-vous donner l’exemple d’un pays où les drogues sont légales comme vous souhaiteriez que ce le soit au Canada?

R: Il n’y a aucun pays où les drogues sont légales. On pense souvent que c’est le cas aux Pays-Bas, mais leur politique consiste à tolérer certains modes d’approvisionnement, par exemple dans ce qu’on appelle les « coffee shops », pour empêcher les consommateurs de se diriger vers un marché noir et de fréquenter des personnes qui offriraient toutes sortes d’autres produits. Pour renforcer la prévention, également. La stratégie fonctionne, puisque moins de cannabis est consommé aux Pays-Bas qu’aux États-Unis par personne.

Dossier Prostitution et Sexualité.

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