Educateurs en péril

Alain Martel, travailleur de rue, Montérégie 

Ça brasse dans les écoles. Ce n’est pas une trop grosse nouvelle, me direz-vous, mais je suis surpris de la tournure des événements.

Depuis que je travaille, j’ai rencontré plein de gens avec qui j’ai développé de bons liens professionnels. Parfois, ces liens se sont développés encore plus. Une amitié un peu bizarre, parce qu’on ne s’appelle pas pour sortir, pour prendre un café ou pour se présenter nos conjoints ou conjointes. Ça demeure au niveau professionnel, mais avec un intérêt supplémentaire envers les humains que nous sommes.

À chaque rencontre, à chaque appel, à chaque occasion que le métier amène, il y aura toujours un temps où l’on s’inquiète de l’autre, où l’on s’intéresse à ses émotions et ses sentiments. On partage tout ça avec passion et simplicité. Il y a déjà eu quelques larmes et quelques étreintes parce que nous avions réussi à aider quelqu’un, ou encore parce que nous avions échoué.

Il en est ainsi de ma relation avec Charles. C’est un nom fictif pour ne pas mettre mon ami dans le trouble. Charles travaille dans une école. Il s’occupe de jeunes qui ont ou pensent avoir des problèmes de consommation de drogues. Ce qui m’unit à Charles, ce sont toutes les histoires d’horreur qu’il a entendues depuis maintenant 16 ans. Il continue d’en entendre presque à chaque jour. Des jeunes qui ont été violés et qui consomment afin de passer une autre journée sans mourir, des jeunes abandonnés par le monde adulte, des jeunes plein d’histoires plus tristes les unes que les autres. Il vit quotidiennement les élans de jeunes qui veulent être entendus et prennent la voie de la toxicomanie, mais aussi de la violence, des fugues, des tentatives de suicide.

Ça faisait longtemps, presque quatre ans, que je n’avais pas parlé à Charles. Puisque je suis sorti du travail de rue, puisqu’il a pris un congé sabbatique; pour des raisons aussi bonnes les unes que les autres. Et voilà qu’un matin, j’ai un message sur mon répondeur. Et là, je pars dans le monde des souvenirs. La voix de Charles me rappelle certaines aventures que nous avions vécues. Par exemple, il suivait une jeune fille de 16 ans qui consommait par injection. Il me l’avait référée. C’était la première fois que nous travaillions ensemble. En utilisant plusieurs stratégies, mais aussi parce qu’il avait accepté de contourner certaines règles de son école, nous avons réussi à aider cette jeune fille qui ne consomme plus depuis ce temps.

Charles et moi sommes très heureux de nous revoir. On se donne des nouvelles, on se met à jour. Il me raconte: «depuis quelques années, la situation a bien changé. Depuis que les négociations sont plus médiatisées, c’est encore plus difficile. On dirait que la direction le prend personnel. Elle coupe dans un paquet de services aux étudiants. Elle ne nous supporte plus. Un ami professeur s’est fait attaquer par des élèves, il s’est fait battre et on lui conteste son droit à la CSST, en refusant d’admettre l’événement. Je me sens tellement isolé. On me commande de suivre des élèves qui ne sont plus à l’école. On augmente ma charge de travail. Je subis l’intimidation des étudiants et de la direction. Personne ne veut ou ne peut s’allier à nous sous peine de représailles. On se croirait dans un mauvais film de série B. Je suis désespéré. La semaine dernière, j’ai vomi dans le stationnement de l’école. Je suis tanné, écrasé. Je serais mieux de travailler dans une usine à mettre des couvercles en métal sur les boîtes de petits pois. Ça serait plate mais, au moins, je pourrais entrer chez moi sans avoir besoin de cachets pour dormir.»

Pour dire la vérité, Charles est la combinaison de trois personnes du milieu scolaire avec qui j’ai parlé la semaine dernière. Ce que je décris, comme relation, est exact. Ce qui me dérange dans leurs histoires, c’est que le conflit sacrifie des êtres humains qui avaient une passion, une volonté de faire les choses en sachant qu’ils pouvaient faire une différence dans la vie de quelques-uns.

L’état actuel du système d’éducation tue les passions à petit feu. Certains sont épuisés. La fragilité de leur santé mentale est visible. Il y aura peut-être des gens qui mourront de ça. Autant physiquement que psychologiquement. Le milieu scolaire développera des employés amers qui rendront les étudiants amers et on aura une vie amère. Vous pensez que j’exagère? Mais si vous avez une chance de vous faire raconter la vie dans les écoles depuis septembre, prenez le temps de bien entendre et comprendre ce que l’on vous raconte. On a le réflexe de penser qu’ils se plaignent le ventre plein. Prêtons-leur une oreille. Merci de me lire. Merci de me publier.

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